jeudi 9 octobre 2008

Séraphine



Dans la vie, que ce soit dans la fiction ou la réalité, il arrive que l'on croise des vies qui nous bouleversent. De même qu'il y a des biographies beaucoup plus romanesques que les plus époustouflants des romans, il est des vies d'artistes qui nous inspirent presque autant que leurs oeuvres; C'est le cas de Séraphine Louis de Senlis, simple femme de ménage et peintre dans sa vie intime, qui connaîtra une fin malheureuse...



Le film commence avant la première guerre mondiale et plusieurs éléments nous montre déjà les prémices de ce conflit comme l'hostilité des gens que croise Séraphine à l'égard des "Bochs". Celle-ci, simple bergère, s'installe dans une chambre à Senlis et devient femme de ménage pour Wilhelm Uhde, critique et collectionneur d'art Allemand influent (il découvrit le Douanier Rousseau, Braque, Delaunay). Il fut également le premier acheteur de Picasso.


Ce n'est que par heureux hasard qu'il découvra une petite peinture de Séraphine et ce sera le coup de foudre total. Celle-ci peignait secrètement dans sa chambre de bonne, faisant toutes sortes de "mélanges secrets" pour les couleurs de sa palette. Des tas de moments magiques nous font rentrer dans l'intimité de cette artiste, sa relation à la nature est presque panthéiste, elle parle aux animaux, aux fleurs, étreint les arbres. Elle ne peut s'atteller à la peinture qu'à ses rares moments de liberté tout en entonnant les chants de la messe matinale en latin.


Séraphine, en pleine inspiration devant l'un de ses tableaux.

Selon elle, vers 1900, son ange gardien lui serait apparu un jour qu'elle priait dans la cathédrale de Senlis pour lui ordonner de peindre; Ce message est bientôt relayé par la Vierge marie elle-même, dans des cirsonstances similaires; Voilà, disait-elle, pourquoi elle peignait...


Très vite, les choses s'enclenchent: les oeuvres des Séraphine sont achetées et suscitent l'admiration. Wilhelm fait tout pour qu'elle n'abandonne pas la peinture et qu'elle persévère. Finalement, c'est la guerre et cette déchirure entre français et allemands qui les séparera. Mais c'est encore le hasard providentiel qui les fera se revoir en 1927

La peinture de Séraphine contient presque toujours les mêmes sujets.Ce sont des d'arbres ou d'immenses bouquets qui se déploient sur toute la toile. Mais ceux-ci sont vibrants, ils s'en émanent une vitalité qui témoignent de la vie intérieure de Séraphine et de sa communion intime avec la nature. Ses peintures sont de véritables prières...


Une exposition se prépare à Paris et Séraphine finit par avoir les moyens financiers suffisants pour ne faire que de la peinture. Malheureusement, cette histoire, comme beaucoup d'autres, se termine en tragédie. La crise de 29 fait son irruption, le marché de l'art s'effondre et il n'y a plus d'acheteurs qui permettent à Séraphine de survivre. Son rêve se fissure brutalement.

Wilhelm lui annonce qu'elle ne pourra pas réaliser à Paris l'exposition qu'elle souhaitait tant et s'en est trop pour elle. Elle semble vasciller brutalement pour finalement se perdre dans son monde intérieur. Séraphine perd pied, on le voit dans le film par des actes dont personne ne comprend la cohérence et elle sera internée à l'asile psychatrique. Plus jamais elle ne peindra...

L'oeuvre de Séraphine est visible au musée Maillol à Paris

A la sortie du film, j'étais perplexe de n'avoir jamais entendu parler d'elle auparavant, indigné que ce genre de parcours ne soit connue que d'un petit nombre de chroniqueurs à France culture. Ce n'est pas ce genre d'itinéraires, pourtant si admirable, que l'on met en évidence dans l'histoire de l'art. En plus, Séraphine est catégorisée parmi les "peintres naifs", terme fort péjoratif et qui témoigne de la condescendance de l'époque à l'égard des gens complètement autodidactes.

Mais que dire si ce n'est que ce film est une ode à la création, à l'inspiration et à la liberté qu'elle procure, libre de toute tendance, au-delà des modes, du temps et des cultures. Il montre aussi comment une belle aventure peut naître de la simple connivence entre des êtres provenant de classes complètements différentes mais vibrant à l'unisson pour l'art. Et comme le disait Wilhelm lui-même: "Vous êtes douée. Indéniablement douée. Mais il va falloir travailler beaucoup. Ne vous souciez plus jamais de ce que disent les autres, ils n'y connaissent rien".

Wanderlust

Voici le dernier clip de Bjork, "Wanderlust", toujours aussi envoutant. Bjork est la seule artiste que je connaisse qui se renouvelle de façon étonnante sans tomber dans le recyclage...

mardi 7 octobre 2008

Auroville, réussite ou faillite d'une utopie?...


Pour cette rentrée 2008-2009, de nouvelles thématiques ont vu le jour, notamment, celle de "l'utopie et de la réalité". C'est dans le cadre de ce sujet qu'il m'a paru intéressant de faire un article sur une utopie, ou une tentative d'utopie, qui m'a beaucoup intéressée ces derniers temps. Cette "utopie en cours" gagnerait à être mieux connue, d'autant plus qu'elle fut en partie réalisée par des français de la période mai 68. Elle se situe en Inde, près de Pondichery et a pour nom: Auroville.

Finalement, ça peut paraître prétencieux de discerter sur une communauté dans laquelle on n'a jamais vécu. Mais je vais tenter du mieux que je peux à partir de la documentation que j'ai trouvée.


Auroville est donc une cité fondée en 1968 à partir des enseignements d'un homme du nom de Sri Aurobindo. Ce dernier fut considéré à son époque comme un sage en même temps qu'un réformateur politique. ll milita activement pour l'indépendance de l'Inde. Cette citée-communauté est censé être la concrétisation de l'unité humain, une cité ou coexisterait le spirituel et le matériel, une citée universelle, antichambre de la société future ou l'homme pourrait enfin cohabiter harmonieusement avec lui-même... Le caractère universaliste d'Auroville s'est affirmé dès sa naissance en déposant dans l'urne, au centre de la future cité, la terre de plus de 124 nations, symbole de réconciliation, d'espoir et d'unité.



A droite: Sri Aurobindo. Il fut une figure majeure du nationalisme indien dans les années 50-60. Ce n'est qu'après son désabusement de la politique et ses incarcérations successives qu'il se consacra entièrement au yoga. Il a mené une vie d'ascète pendant 25 ans pour se consacrer à son "Yoga intégral", sorte de rénnovation universaliste du yoga et qui reconsidère le lien entre l'homme et le divin

A gauche: Mira Alfassa, française et compagne de Sri Aurobindo, plus connue sous le nom de "la Mère". Elle fut la véritable initiatrice de ce projet. Elle fut également, suite à la mort de son compagnon, à l'origine de l'Ashram de Sri aurobindo d'ou serait parti Auroville et d'ou l'on recevait les enseignements du maître « Il doit exister sur terre un endroit inaliénable, un endroit qui n’appartiendrait à aucune nation, un lieu où tous les êtres de bonne volonté sincères dans leurs aspirations, pourraient vivre librement comme citoyens du Monde ». Ainsi se montre dès le début le caractère hybride et multiculturel d'Auroville.





Voici une maquette d'Auroville telle qu'elle devrait être. Comme vous pouvez le constater, la forme globale évoque une galaxie qui converge vers le centre de la citée, surplombé par le Matrimandir. Chaque branche de la galaxie représente un secteur spécifique d'Auroville, des activités industrielles, artisanales ou des zones d'habitats. on peut constater avec Google Earth que cette architecture n'a pas abouti. De plus, la croissance d'Auroville est plutôt ralentie. Elle qui prévoyait d'héberger 50 000 habitants, en héberge aujourd'hui 2000...



Le Matrimandir est le centre névralgique d'Auroville. contrairement à beaucoup de temples hindous, celui d'Auroville est ouvert aux touristes. C'est l'endroit ou les Aurovilliens viennent se resourcer librement...

Il existe également tout un programme d'éducation pour les habitants aurovilliens. Les enfants deviennent ainsi polyglotte dès le plus jeune âge. Elle se veut une "éducation intégrale" qui développe toutes les dimensions de l'être. Aujourd'hui, l'enseignement s'est orienté d'une manière plus pragmatique, de sorte que ces petits Aurovilliens puissent également s'intégrer à l'extérieur.


Aujourd'hui, Auroville constitue une citée de plusieurs dizaines de nations; Tel un laboratoire d'expérimentation, elle tente de trouver des innovations et développe des projets dans divers domaines tels les énergies renouvelables, le tout dans une logique de développement durable; Tout semble possible: activité artistique, bénévolat pour la construction de nouvelles infrastructures, méditation ect...


(A Aurovile, un arbre géant dont les lianes se sont enracinées et ont elles-même formé des troncs)

Mais tentons maintenant de scruter auroville au-delà de sa vitrine d'exposition:

J'ai une copine dans mon entourage qui est allé régulièrement en Inde et qui a fait un bref détour par Auroville. Elle n'y est resté que brièvement mais finalement, elle n'en retient pas grand chose. De mes souvenirs, Auroville lui paraissait être une sorte de concentrés de bobos 68tards. De plus, parce qu'elle est une utopie, elle diffère de la vie quotidienne des indiens et c'est sans doute pour ça qu'elle semble ne pas être pris au sérieux par ces derniers, embourbés dans la dureté de la vie. Auroville semble comme en déphasage, mise sous une cloche...

De plus, la mère de mon meilleur amis a quelques membres de sa famille qui ont eu des liens dans le passé, non pas avec Auroville mais avec l'ashram de "la mère"; Elle a donc une certaine idée de ce qui a pu se passer, notamment du conflit qui s'est tramé entre l'ashram et l'auroville naissante. L'ashram souhaitait avoir un rôle dans l'orientation de l'auroville future mais l'endroit s'est finalement autonomisé.

La plupart des blogs que j'ai visité ont donné une vision d'Auroville mitigée... Des bruits courent que des enfants élevés à l'aurovillienne depuis la naissance se droguent. De plus, les indiens qui vivant dans la région n'apprécient pas l'endroit car ils semblent être utilisés par les aurovilliens comme la sous-traitants, autrement dit, pour effectuer les tâches ingrates. Ainsi s'opérerait subrepticement une sorte de nouvelle hiérarchie entre des occidentaux pratiquant le coucouning et les indigènes qui triment...

Côté spirituel, Auroville semble une sorte de zone new-age assez fatra ou chacun fait un peu ce qu'il a envie; Le matrimandir est là pour que chacun, s'il le souhaite se ressource dans un espace silencieux; Des cours de yoga, de Tai-chi, des pratiques artistiques ainsi que des massages sont proposés mais l'ensemble fait finalement assez "club med". Et pour survivre, la citée doit vendre beaucoup de camelotes de toutes sortes ce qui ternit le côté "spirituel" de la chose.


Au pire, Auroville se révèle aux premiers abords être une sorte de village-vacance surrané, un no man's land pour occidentaux en mal d'exotisme. Cela ne fait finalement de mal à personne mais peut-on dire que c'est une utopie si on retrouve les mêmes dérives qu'ailleurs. D'autres parlent d'une véritable omerta sur certaines pratiques qui existent à auroville, notamment du point de vue immobilier.



On se retrouve donc face à un dillème:
- Si l'on veut construire une utopie sur des fondations solides comme le phalanstère, il semble nécéssaire de pouvoir se retrancher de la réalité extérieure pour mieux préserver les fruits du projet que l'on veut mener à terme. Cela pourra apparaître, aux yeux de certains, comme une forme de repli sectaire mais bâtir une utopie amène inévitablement à un déracinement de la société ambiante vers quelque chose de nouveau.

- Si l'utopie est en système ouvert, elle se retrouve alors avec des générations de nouveaux individus qui arrivent et qui se retrouvent en déphasage, parfois même en concurrence avec les premiers pionniers. Et c'est, je crois, ce qui s'est passé à Auroville. Il paraît en effet difficile de maintenir une utopie selon une ligne directrice, surtout si ce sont toutes les nations de la planète qui y participe. Et l'utopie de départ peut littéralement s'enliser suivant les désirs capricieux de chacun...

Dans le domaine utopique, il semble exister une sorte de tension entre 2 tendances: celle de vouloir changer l'homme et celle de changer son environnement. Les utopies totalitaires sont facilement tentés par le fait de refasçonner l'homme jusque dans ses fondations pour que l'individu, le parti, l'état et la vie dans son ensemble fusionnent dans une sorte de tout cohérent. D'autres démarches comme celle du Corbusier consiste à vouloir changer la vie humaine par de nouveaux rapports sociaux induits par une architecture moins individualiste et plus communautaire. Auroville semble être une sorte d'hybridation totale entre les 2 démarches à tel point que l'on ne sait plus trop ou l'on en est...


La conclusion peut sembler sévère mais il me semble que l'on a un devoir de réalisme face à des utopies aux objectifs aussi démesurés et prétencieux. Auroville, bien que cautionné et parrainé par de prestigieux organismes internationaux comme l'UNESCO, semble être fortement dépendant des capitaux européens et nord-américains; Les problèmes de financement et le manque main d'oeuvre semble expliquer l'avancée ralentie de certaines constructions ainsi que le phénomène de "sous-traitance" perçu par les indiens de Pondichery.

De plus, on trouve une foisonnante architecture allant du rudimentaire au plus baroque et qui, quelque part, témoignage du manque d'unité d'Auroville. Les riches qui s'installent et fabriquent leur fantasme urbanistique est en contradiction flagrante avec l'idéal de vie simple et harmonieuse aurovillienne. Bien qu'il n'y a pas de monnaie, il faut de fait, avoir les moyens de s'installer et cela passe par une sorte de permis probatoire ou l'on doit faire ses preuves pendant 2 ans pour la communauté



Il faut cependant reconnaître une incroyable prouesse aux pionniers aurovilliens: celle d'avoir transformé une zone désertique et aride en une immense zonne boisée par la plantation de plus de 2 millions d'arbre... Il suffit de trouver des images ça et là ou même aller sur google oearth pour constater la transformation qui s'est opéré, donnant à l'environnement aurovillien une allure de paradis tropical abritant toutes sortes d'espèces.

Auroville pose la question de la réelle pertinence d'une utopie soumise aux contingences du réel tel qu'il est. Après plus de 40 ans d'existence, il est raisonnable d'en tirer un bilan et de se demander ce que l'on peut tirer d'utopies de ce genre. Le projet originel semble de plus en plus lointain et les habitants s'activent, comme dans une fuite en avant, sans savoir ce que cela donnera...

Mais finalement, combien d'utopies faudra-t-il à l'humanité pour se rendre compte que nombre de solutions ne se trouve peut-être pas à l'extérieur de nous-même. Si la réalité est à l'image de la caverne de Platon, un voile d'illusions, les utopies ne seraient-elle pas des illusions supplémentaire, dont l'evanescence risquerait de rendre l'humain encore plus désabusé qu'il ne l'est déjà? Ne faudrait-il pas fondamentalement, comme le dit Matthieu Ricard, commencer d'abord par se transformer soi-même, là ou on est, pour pouvoir transformer le monde ???